Depuis hier mardi, l’Assemblée est entrée dans une phase décisionnelle, dans les séances plénières dites « administratives ». Ainsi avons-nous élu hier les 8 vice-présidents des régions qui couvrent la planète et les 150 membres du Comité central, l’organe exécutif du COE. De manière générale, ces processus décisionnels ne sont pas très satisfaisants, dans la mesure où ils consistent pratiquement à valider le travail préparatoire des commissions en amont. Personne n’en conteste la qualité, mais les possibilités d’amendements et de débats sont forcément limités, avec près de 600 délégués qui ont théoriquement voix au chapitre. La CPLR a proposé la candidature du Pr Marc Boss, enseignant à l’IPT à Paris, qui a été élu. Le COE, à la différence de la FLM, n’a pas de politique de quotas contraignante. C’est ainsi que les laïcs sont passés de 32 à 23 % dans le nouveau Comité central, et il n’y a aucun laïc parmi les 8 vice-président(e)s … L’archevêque d’Upsala Antje Jackelen a dénoncé cette cléricalisation, mais sans effet…La part des femmes reste stable à 40 %, et celle des jeunes à 13 %.
L’impression de contrainte est encore plus forte depuis que nous examinons les textes « politiques ». Cinq principaux documents sont en débat : un message général aux Eglises (tellement général qu’il a été voté pratiquement sans discussion…), et quatre textes sur « La guerre en Ukraine, la paix et la justice en Europe », « Une planète vivante – en quête d’une communauté mondiale juste et durable », « Les choses qui contribuent à la paix – Mener le monde à la réconciliation et à l’unité » et enfin « A la recherche de la justice et de la paix pour tous au Moyen-Orient ». Les prises de parole sont limitées à deux minutes, voire une minute en fin de séance, ce qui suscite frustration et irritation.
Le texte sur l’Ukraine a donné lieu à des « passes d’arme » entre Ukrainiens et Russes, ces derniers reprochant au document d’être l’expression de la désinformation ukrainienne…Sur le Moyen-Orient, le débat se cristallise sur la mention du mot « apartheid » à propos de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens. Le texte propose simplement de demander au Comité central d’étudier avec Amnesty International et Human Rights Watch dans quelle mesure ce concept peut être légitimement employé. L’EKD allemande a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne voterait pas un texte où le mot figure…
La déclaration sur la justice climatique rappelle avec force le désastre écologique en cours et appelle à l’action, en invitant les Eglises membres à faire pression sur leurs gouvernements, notamment par l’outil de l’impôt (taxe carbone, taxe Zachée sur les grandes fortunes, …). Il met en garde sur le risque que la transition écologique se traduise à nouveau par une exploitation du tiers monde où se trouvent beaucoup des ressources nécessaires à l’« économie verte ». Le texte sur la paix est sans doute le plus profilé, car il dénonce l’industrie des armements qui alimente de nombreux conflits dans le monde et pointe le risque nucléaire, ce qui n’avait plus été fait depuis longtemps.
Il y a pour l’adoption de ces textes un vrai problème de méthode et d’organisation : toutes les matinées sont consacrées à des plénières thématiques, qui sont souvent des séances-spectacles où l’on accueille des stars œcuméniques (l’archevêque de Canterbury, le prieur de Taizé, …) et des débats mis en scène avec danses, chants, vidéos, … Cela est sans doute stimulant pour les innombrables participants à l’assemblée, mais les délégués ne disposent que de 15 à 18h, pause-café comprise, pour débattre de textes dont certains sont longs comme des jours sans pain…
La richesse de l’assemblée reste celle de l’incroyable diversité de personnes, d’Eglises, de cultures qui se croisent ici, dans un réel esprit d’ouverture. Un phénomène nouveau est la forte représentation des Eglises pentecôtistes, qui entrent dans la dynamique œcuménique, au moins au niveau de leurs organes fédératifs. Le temps où les « œcuméniques » étaient diabolisés par les évangéliques et les pentecôtistes semble révolu. On a le sentiment que la situation de crise mondiale, avec une interpénétration complexe des problématiques climatiques, des replis nationalistes et des poussées guerrières, encourage les Eglises chrétiennes à dépasser leurs séparations historiques.
L’assemblée s’achèvera ce jeudi à midi. Nul ne saura avant longtemps ce que cette étape du pèlerinage des Eglises pour la justice et la paix aura apporté de décisif. Il restera des textes que les Eglises membres pourront s’approprier, et il restera surtout ces innombrables rencontres qui tissent un réseau de fraternité à travers le monde.
Christian ALBECKER