Convivialité – l’art et pratique de vivre ensemble

Présentation du rapport de Tallinn (2016) du groupe européen sur la solidarité
Porte "Fraternité Belle de Mai" à Marseille

 

La dimension diaconale est l’action concrète de la foi, l’entraide et l’engagement social – quoique séparé en France par les associations 1901 – font partie de la vie d’Eglise.

 

 

Seth Chancy est responsable de la dimension « Conviviality » dans le département Europe-Brésil de la NMS (Société norvégienne de Mission), notre partenaire de longue date. En avril 2025, nous sommes allés à la rencontre de différents acteurs de l’action sociale – Eglise/Entraide ou association locales, fraternité de la Mission populaire ou des responsables de la Fédération d’Entraide protestante (FEP). Nous voulions découvrir les liens entre l’Eglise et l’Entraide (l’action sociale), les motivations et le regard sur la société actuelle. Lors de nos rencontres nous avons également présenté et discuté la conception de la Conviviality, élaborée par le groupe européen sur la solidarité [European Solidarity Group] de la Fédération luthérienne mondiale.

« Une communauté chrétienne comprend les dimensions du culte, de l’enseignement et de la diaconie, qui caractérisent ensemble la mission à laquelle nous sommes appelés par Dieu. La diaconie, l’amour du prochain doit faire partie d’une Eglise intégrale, dans tout ce que nous sommes et faisons. Nous devons être un signe dans le monde, appelés à aimer toutes les créatures et à prendre soin d’elles ».

Conviviality – Convivencia - Convivialité

 

 

Conviviality en anglais, Convivencia en espagnol, en français nous pourrions peut-être dire « convivialité ». Depuis décembre 2011 jusqu’aux 500 ans de la Réforme en 2017 le ‘European Solidarity Group’ de la Fédération luthérienne mondiale a travaillé pendant six ans ce nouveau concept pour l’Eglise et la diaconie. Le terme convivialité décrit « l’art et la pratique de vivre ensemble » face à la diversité (religieuse, culturelle et/ou sociale). L’idée de convivialité trouve son origine dans le contexte latino-américain récent (Freire Paulo, Pédagogie des opprimés, 1996). Plus tard, elle a été développée par Ivan Illich dans le monde anglo-saxon ».

Face aux profonds changements économiques, politiques, sociaux et religieux qui s’opèrent dans les sociétés européennes, les participants du groupe de réflexion Conviviality ont évalué les défis et les opportunités d’un renforcement de l’engagement diaconal comme caractéristique centrale du témoignage chrétien dans la société, en particulier aux côtés des personnes oubliées dans des lieux oubliés. Nous avons ressenti ce défi lors de notre passage à tous les endroits. Nous vous proposons ici un extrait du rapport de 2016 (Tallinn) et vous encourageons d’aller plus loin avec les différents documents disponibles gratuitement sur le site de la FLM (ressources en anglais et allemand).

De l'hospitalité à la convivialité - extrait du rapport de Tallinn

Dans le débat sur les étrangers et l’immigration, le concept d’hospitalité a été utilisé à plusieurs reprises. Nous pouvons également appliquer ce concept de manière générale aux relations avec les « autres », c’est-à-dire avec les personnes qui nous sont étrangères ou différentes de nous. Dans le contexte de la migration, la relation entre les concepts d’« hospitalité » et de « convivialité » présente un intérêt particulier. L’hospitalité joue un rôle important dans la Bible : les hôtes ou les étrangers doivent même être mieux traités que leur propre famille ou groupe (cf. par ex. Genèse 18-19 ; Hébreux 13,2). C’est pour ainsi dire un concept de base pour les relations avec les autres.

 

 

Hospitalité ?

Le philosophe Jacques Derrida, qui était lui-même un immigré, s’est penché sur cette thématique dans son livre « De l’hospitalité », paru en 1997 (Derrida J., 1997). Il souligne que les hôtes, une fois qu’ils sont intégrés au point de s’assimiler à la population, ne sont plus des hôtes. Par conséquent, l’hospitalité n’est plus nécessaire. D’autre part, l’hospitalité disparaît également là où la population locale ne pose aucune condition aux nouveaux arrivants et leur permet de vivre leur vie comme ils l’entendent. Pour Derrida, le concept d’hospitalité est donc problématique.

 

 

 

 

 

Le graphique montre en substance la vision du vivre ensemble (convivialité) et les trois conditions fondamentales que sont la vocation (et appel à l’engagement), la dignité humaine et la justice comme motifs chrétiens dans le processus.

 

Convivialité - l'art et la pratique de la cohabitation

Le concept d’hospitalité présente un autre aspect problématique. Il présuppose que l’hôte est un simple visiteur et qu’il partira un jour. Mais que se passe-t-il si l’invité est venu pour rester ? Ne devient-il pas alors un concitoyen à part entière ? Dans ce cas, le concept d’hospitalité est-il encore valable ? Au lieu de l’hospitalité, le concept de convivialité part du principe que, d’une manière ou d’une autre, toutes les communautés sont différentes et que tous les résidents d’un territoire doivent apprendre l’art et la pratique de la cohabitation et respecter les différences mutuelles.

Dans une société conviviale, les gens ne se contentent pas de tolérer les différences, ils les acceptent et éprouvent un respect mutuel. Dans ce contexte, le partage quotidien permet d’apprendre les uns des autres. En exposant notre identité à d’autres identités, nous pouvons établir des relations mutuelles avec ceux qui sont différents de nous.

 

 

« La convivialité s’oppose à tous les efforts visant à créer des communautés délimitées ».

 

 

(Rapport Tallinn, 2016, p.31)

Une série d’études a montré que les gens préfèrent être avec d’autres personnes qui leur ressemblent. Cela est visible dans la délimitation mutuelle des quartiers, dans la manière dont les amitiés se forment et dans la manière dont les loisirs sont organisés. Toutefois, l’art de vivre ensemble nécessite un processus d’apprentissage conscient. Les membres d’une communauté doivent surmonter les frontières qu’ils ont érigées entre des personnes et des visions du monde différentes. Cela signifie très souvent qu’il faut sortir de sa propre zone de confort. Il faut également remettre en question l’idée selon laquelle certaines personnes sont trop différentes pour pouvoir vivre ensemble. Dans une société qui évolue rapidement, l’art et la pratique de la cohabitation sont une nécessité. Les gens ne peuvent pas continuer à ériger des barrières ; elles mènent à la catastrophe. La capacité à la convivialité fait partie de l’essence de chaque être humain.

 

Les êtres humains, dans toute leur diversité, ont été créés à l’image de Dieu et participent à l’œuvre créatrice de Dieu en apprenant à se connaître et à agir ensemble. L’art et la pratique de la cohabitation supposent toutefois de la curiosité et la volonté d’apprendre les uns des autres et les uns avec les autres. Des études ont montré que les personnes qui vivent côte à côte, ont généralement des relations tolérantes entre elles, et que les communautés qui ne permettent pas de telles expériences manquent souvent de tolérance. Cela indique que la convivialité s’apprend au fil du temps.

 

 

Convivialité : vivre ensemble de manière solidaire

Le mot « solidarité » ajoute une perspective supplémentaire au concept convivial. La solidarité signifie le partage et le renoncement à l’égocentrisme. Cela n’a toutefois rien à voir avec la charité, qui peut très facilement prendre une dimension de contrôle, dans laquelle ceux qui aident se sentent supérieurs à ceux qui reçoivent. La solidarité implique un effort commun pour créer ensemble de meilleures conditions de vie commune et, plus largement, un monde meilleur. La solidarité implique de développer des activités communes égales pour le bien commun, chacun cherchant à mieux comprendre ses propres motivations et espoirs ainsi que ceux des autres. De tels processus communs peuvent contribuer à la construction de la communauté et à la prise de conscience des préoccupations actuelles de la collectivité.

(du rapport Tallinn 2016 : Seeking Conviviality. Re-forming Community Diakonia in Europe. Evaluation and Commentary form the European Solidarity Group, p.18-20)